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MARTINIQUE
Le voyage

Paulette Nardal

Guide des Colonies Françaises : Martinique, Guadeloupe, Guyane, St. Pierre-Miquelon, Paris, Société d’Éditions Géographiques, Maritimes et Coloniales, 1931.

I. LE VOYAGE

À trois jours des côtes de France, le courrier passe en vue des Açores. Ce groupe d’îles est situé à environ 1300 km du Portugal dont il dépend. Les Açores sont au nombre de neuf : Sainte-Marie et Saint-Michel, au S.-E. (District de Ponta Delgada) ; Terceira, Saint-Georges, Graciosa (District d’Angra, do Heroïsmo) ; Fayal te Pico, au centre ; Corvo et Florès, au N.-O. (District de Horta).
Ces îles montueuses, volcaniques, sujettes aux coups de vent et aux tremblements de terre jouissent d’un climat tempéré et sain. Le sol, bien arrosé, fertile, produit des ignames, des bananes, des oranges, des citrons, des vins appréciés. Elles sont peuplées de 250.000 hab.
La capitale de l’île est Terceira. Horta, dans l’île Fayal, est le meilleur port.
Les courriers de France ne font pas escale aux Açores. Cependant, celles-ci, à cause de leur position géographique, sont appelées à devenir, dans la liaison aérienne France-Amérique, une base aérienne de tout premier ordre. Posées comme des bouées au N. de l’Océan Atlantique elles pourraient former non seulement un poste de secours pour la navigation aérienne mais encore un poste de ravitaillement.
Les bateaux passent assez près de l’île Graciosa pour qu’on en puisse distinguer la végétation touffue et les eaux jaillissantes. Une petite ville blanche dont on aperçoit les tramways se niche dans la verdure des collines.
L’archipel des Açores doit son nom au grand nombre de milans que le Portugais Cabral y trouva en 1431. Le mot « açor » signifie « milan » en portugais.
Pendant neuf jours aucune autre terre ne viendra rompre la monotonie du paysage maritime. Sur la mer, des bancs de poissons volants font briller leurs écailles argentées…
Passage du Tropique du Cancer. La mer, maintenant plus glauque, laisse apparaître dans ses profondeurs de véritables buissons d’algues rousses portant des grappes de fruits qui ressemblent étrangement à des raisins.
Ces algues, nous dit-on, proviennent des côtes d’Amérique, entraînées là par un courant propice. Nous voilà donc dans la mer des Sargasses dont le mystère a fait rêver bien des savants et des poètes.
D’aucuns croient que sous cette eau repose engloutie l’Atlantide de Platon.
C’est à partir du moment où l’on entre dans la Mer des Sargasses que les garçons, jusqu’ici en livrée sombre, arborent le paletot blanc. Le bateau vogue maintenant sous des cieux tropicaux et les voyageurs qui, un peu tous les jours, ont supprimé quelque étouffant vêtement européen, tirent de leurs malles leurs complets de laine blanche. La mer, à midi, est d’un éclat insoutenable.

 

ESCALES

La Pointe-à-Pitre

Après onze jours de traversée le paquebot fait sa première escale à Pointe-à-Pitre, ville principale de la Grande-Terre. L’île, ainsi dénommée, compose, avec la montagneuse Guadeloupe proprement dite, l’île moins importante de Marie-Galante, celle de la Désirade, les six petites îles des Saintes, l’archipel guadeloupéen. Les deux îles principales, la Guadeloupe hérissée de monts et la Grande-Terre, plate et molle de lignes, sont séparées par un bras de mer, curieusement appelé la Rivière-Salée.
Le paquebot arrive généralement le matin à la Guadeloupe. II s’arrête cinq heures environ à la Pointe-à-Pitre, puis se rend à la Basse-Terre, ville principale de la Guadeloupe, où il séjourne trois heures. Les touristes peuvent, pendant cette escale d’une journée, effectuer en auto le voyage de Pointe-à-Pitre à Basse-Terre où ils reprendront le courrier vers la fin de l’après-midi.
Aussi, nous ne saurions trop recommander aux touristes, de ne pas manquer le spectacle inoubliable de l’arrivée à Pointe-à-Pitre. D’abord, on n’aperçoit que les lagunes de la Désirade, la première île qui apparut à Colomb, lors de son troisième voyage aux Amériques. Langues de terre, couvertes d’une végétation drue et courte, d’où s’élèvent le tronc mince et le panache de rares cocotiers. La Désirade est le siège d’une léproserie qui date du XVIIe s. Bientôt les rochers noirs et déchiquetés de la Pointe des Châteaux apparaissent. Voici les falaises de la Grande-Terre qui s’abaissent parfois pour laisser la place à de jolis bourgs, Saint-François, Sainte-Anne avec son immense plage de sable blanc, le Gosier et, en face, son îlet, où l’on aperçoit la maison du pilote qui va guider le bateau dans les passes de la baie Pointe-à-Pitre.
L’île est couronnée d’une végétation qui étonne par sa profusion. Des lianes vertes et jaunes sortent d’un inextricable fouillis d’arbres de toutes essences, pour retomber jusque dans la mer. Voici des palmiers, des cocotiers et, dans le lointain, les pitons fumants de la Soufrière.
Il semble que la rade de Pointe-à-Pitre ait réuni dans ce coin des Tropiques tous les tons de bleu et de vert. Le ciel est d’un bleu « forcené » et la mer, couleur d’améthyste profonde. La rade de Pointe-à-Pitre est parsemée d’îlots minuscules qui sont du plus joli effet, avec leur végétation brûlée. Mais la ville sollicite bientôt notre attention. Vue de la mer, c’est un ensemble assez régulier de toits rouges, roses, ocrés, sortant d’un océan de verdure. En juillet, lorsque fleurissent les flamboyants, énormes bouquets vermeils, plantés le long de la côte, le spectacle est féérique. Le vert clair comme argenté des champs de cannes à sucre, contraste avec le feuillage plus intense, aux larges dentelures et comme vernissé des arbres à pain. Un soleil ardent brasille sur toute cette splendeur.
Le bateau a à peine stoppé qu’il est littéralement pris d’assaut par toute une flottille de barques montées par de pittoresques indigènes et pleines de fruits et de légumes dont la seule couleur réjouit l’œil.
Les formalités nécessaires étant remplies (passeport, etc.) le touriste peut prendre une des nombreuses embarcations qui se pressent autour du paquebot pour se rendre à terre.
La fondation de la ville de Pointe-à-Pitre remonte à l’année 1727. Pointe-à-Pitre, à cause de la sûreté de son port, ne tarda pas à devenir le centre commercial de l’île.
Le touriste trouvera, en débarquant, de nombreuses automobiles. Après avoir fait son prix avec le chauffeur, il pourra visiter la ville en moins d’une heure. Les curiosités intéressantes de la ville sont : le marché, le musée Lherminier, le musée Schœlcher, l’Église, les quais, le cimetière planté de flamboyants. Les sites pittoresques sont la plage : « Sous le Fort », les bains de Poucet, du Gosier, à 8 km de la ville, le Jardin d’Essais où se trouve l’École pratique d’Agriculture.
Il est douteux que le touriste trouve le temps de visiter la partie méridionale de la Grande-Terre. Il pourrait cependant, en consacrant très peu de temps à son déjeuner, se rendre d’abord de la Pointe-à-Pitre au Moule par les côtes, à l’aller, et suivre la route coloniale, au retour. Sites intéressants : plages du Gosier, de Sainte-Anne, de Saint-François, Pointe des Châteaux, Portes d’Enfer, baie du Moule, aux Sainte- Marguerite.
De retour à Pointe-à-Pitre, il reprendrait la route coloniale pour se rendre à Basse-Terre (Guadeloupe proprement dite). C’est la plus belle promenade de l’île. Il traversera la Rivière-Salée sur un pont flottant. D’abord la route s’éloigne de la côte ; puis elle la longe pendant un certain temps. Elle contourne des baies et des anses sablonneuses tandis que se profilent au loin le chapelet d’îles des Saintes et Marie-Galante. Bientôt, elle escalade la montagne et suit en corniche toutes les sinuosités de la côte. Elle a cet avantage d’offrir à la fois le spectacle de la montagne, de la mer et de la forêt. On traverse des sous-bois avec des échappées soudaines sur la mer. À signaler le joli village de Bananiers et sa rivière, l’allée de palmiers royaux de Capesterre, les Trois-Rivières, la station thermale de Dolé, Gourbeyre, Saint-Claude, le Matouba (ou l’île des Fleurs) où est né Léon Hennique et la descente vers Basse-Terre par le Camp-Jacob, à 6 km de la ville.

La Basse-Terre

De la rade, le touriste aura une vue merveilleuse de Basse-Terre, ville bâtie en amphithéâtre et véritablement étouffée sous la verdure, avec, comme fond, le développement du massif montagneux de la majestueuse Soufrière.
La ville se visite en moins d’une heure. Les curiosités les plus intéressantes sont : la cathédrale de Notre-Dame de la Guadeloupe, la Grotte du Mont-Carmel et l’Église, la plus ancienne de la colonie, le Sacré-Cœur, le Monument au Morts, le Champ d’Arbaud, l’ancien Fort Richepanse (très important au point de vue historique), le Jardin Pichon, le Jardin Botanique.
Les sites pittoresques des environs sont les rivières du Galion et des Pères, la distillerie des Pères blancs, dont le plus fameux fut le père Labat.
On ne connaît pas la date exacte de la fondation de Basse-Terre. On la situe autour de 1643. La ville de Basse-Terre a toujours joué un rôle important dans l’histoire de la Colonie. Elle a été dès le début, le siège de son Gouvernement.
Les tarifs postaux sont ceux appliqués dans la métropole. Il en est de même pour le régime bancaire. Le numéraire français est accepté à la Guadeloupe, bien que sa banque ait le privilège de frapper des pièces pour l’usage local.
Le paquebot repart généralement dans la soirée pour la Martinique.

L’ARRIVÉE À LA MARTINIQUE

Il y a douze heures de voyage entre la Guadeloupe et la Martinique. Le paquebot, parti de la veille de Basse-Terre, se trouve généralement en rade de Fort-de-France dès 6h du matin. Il faut donc se réveiller très tôt pour voir d’assez loin les vagues écumantes du Canal de Dominique se précipitant à l’assaut des rochers déchiquetés et noirs du Prêcheur. On peut distinguer de véritables jets d’écume s’élevant à une hauteur surprenante. Puis c’est la rade largement ouverte de la ville Saint-Pierre, réduite, après l’horrible catastrophe de 1902, à l’état de commune. La Montagne Pelée est le plus souvent encapuchonnée de nuages. Tout près de Saint-Pierre, sous une magnifique cocoteraie, s’abrite le bourg du Carbet. On peut deviner à l’inclinaison des cocotiers la direction sans la laquelle le vent souffle le plus souvent. Puis c’est Bellefontaine avec son appontement primitif et les filets de pêcheurs que nous apercevrons sur la plage de tous les villages de la côte : Case-Pilote, Case-Navire et les différents fonds que forment les hautes falaises en s’abaissant jusqu’au niveau de la mer.
Après la profusion insensée de la végétation guadeloupéenne, la côte australe de la Martinique ne laisse pas de nous décevoir. Ce ne sont que falaises couleur d’ocre avec une chétive végétation marine poussant en touffes rares sur un sol pierreux.
Mais voici la Pointe des Nègres avec son phare puissant. Les hauteurs de Bellevue surmontées de magnifiques villas présentent déjà plus d’intérêt. Dans le fond se dresse l’imposante et sombre masse des Pitons du Carbet aux pieds desquels se détache la blancheur du Montmartre martiniquais. Quand on se trouve en pleine baie de Fort-de-France, en face de l’Îlet à Ramiers, on est repris par le charme des tropiques. La ville apparaît, avec sa couronne royale de palmiers, d’arbres à pain et de manguiers qui surmontent les collines environnantes. Ces collines s’abaissent, d’un côté, vers la mer, jusqu’à la Pointe des Nègres, et, de l’autre côté de l’immense arc de cercle que forme la baie de Fort-de-France, jusqu’à la Pointe du Bout. Leurs lignes se dirigent vers la mer en molles ondulations. Il se dégage de l’ensemble une extraordinaire impression de calme et de paix. La mer dans la baie très profonde est d’un bleu intense et forme des vaguelettes aux arêtes dures.
La ville se précise de plus en plus ; toits de tuiles rouges, façades jaunes ou d’un blanc éclatant. Le clocher en fer de la cathédrale s’élance vers le ciel où le bleu s’exaspère. Trois forts défendent la ville : Saint-Louis, Tartenson, et Desaix. On aperçoit les touffes de verdure sombre que forment de loin les sabliers et les tamariniers séculaires de la Savane, la promenade publique.
Le bateau guidé par le pilote a accosté au wharf de la Compagnie générale Transatlantique. Les gens viennent assister nombreux à l’arrivée des courriers. Des files d’autos déversent sans arrêt des nouveaux curieux.
L’œil veut-il se poser sur la luxuriante végétation du lieu ? Il est arrêté par deux énormes tas de charbon qu’attaquent à la pelle de grands gaillards. Ceux-ci remplissent les paniers que leur présentent à la file les charbonnières.
Des femmes en longues théories, portant sur la tête des paniers pleins de charbon, vont les déverser par une écoutille dans les soutes du navire. Le spectacle, qu’on peut juger pénible, ne manque pas de pittoresque. Ces femmes, entraînées à ce dur métier, ont gardé des muscles longs, de la souplesse et en même temps du hiératisme.
Le wharf de la C.G.T. est situé au fond de la baie, à l’E. de la ville. Les formalités de passeport et de douane remplies, le touriste trouvera dans les allées de la Compagnie, de nombreuses autos qui le conduiront dans les divers hôtels de la ville. À la porte de l’établissement commence une allée de palmiers royaux, les plus beaux peut-être de l’île.
Avant d’atteindre la ville, il faut traverser un faubourg qui n’ajoute pas précisément à la gloire de Fort-de-France. Petits débits, cases pittoresques, cafés borgnes et, le long de la route, toute une population de marchandes assises devant leurs « trays » chargés de gâteaux, d’ « acras » dorés ou de fruits alléchants : bananes, fruits à pain, oranges, mangues. Ce faubourg, très haut en couleurs, s’étend à droite de la route dont un large caniveau le sépare. Il ressort contre le fouillis vraiment magnifique de la végétation qui monte à l’assaut des collines. On pourrait souhaiter moins de pittoresque et plus de propreté à ce faubourg qui accueille les touristes.
Ce vœu est d’ailleurs à l’heure actuelle presque réalisé. Au sortir de la gare maritime, sur la gauche, l’ancienne place de Ancres, donnant sur la baie, est en ce moment aménagée en jardin public. Petite réplique au « Jardin Desclieux » dont le sépare une belle avenue asphaltée : La Levée, qui conduit vers les autres faubourgs de la ville. La Levée est coupée à angle droit par des avenues spacieuses : la rue de la Liberté, la rue Schœlcher qui débute par une large place où s’élève un obélisque et que bordent de hautes constructions comme l’Asile des Vieillards. Nous voici dans la partie moderne de la ville.

(Lire la suite : Martinique — Étude géographique)

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